Rétrospective Hitchcock : Vertigo-Sueurs Froides 1958

Il y a parfois des séances ciné qui commencent mal. Comme lorsqu’on va voir un chef d’œuvre sans trouver personne pour nous accompagner (Oh, Chat Masqué, fais-nous pleurer dans les chaumières…). Mais heureusement, le hasard fait parfois bien les choses pour un chat superstitieux. A l’Institut Lumière de Lyon, les (confortables) fauteuils portent l’inscription d’un nom de réalisateur célèbre. Et lorsqu’on se rend à la rétrospective Hitchcock pour voir Vertigo, l’âme en peine, un miracle peut arriver : c’est ce qui s’est passé pour moi lorsque j’ai choisi par hasard le fauteuil portant la plaque Hitchcock. Oui, ce fut sans doute là le signe avant-coureur d’une séance ‘mystique’…

En deux temps, trois mouvements, me voici replongé dans l’immense Vertigo. Une bouche, un nez, l’oeil d’une femme sous un filtre rouge, un tourbillon sur son iris et le prélude de Bernard Herrmann fait immédiatement résonner l’angoisse, le suspens et le vertige par ses notes tournoyantes, rappelant l’acrophobie de Scottie (James Stewart).

Dès la première minute, on sent que ce film est a-normal, vertigineux et hypnotisant. Hitchcock place sa scène sur les toits de San Francisco où l’on voit Scottie, précédé d’un policier, poursuivre un malfaiteur très agile. Notre héros loupe une corniche, glisse sur un toit de tuiles. Le policier qui fait demi-tour et vient à la rescousse chute dans le vide alors qu’il tente d’attraper la main de Scottie.
Son corps tombe et s’écrase violemment au sol : notre héros a désormais la phobie de la hauteur.

Scottie convalescent et jeune retraité de la police trouve refuge chez son ex-fiancée Midge (Barbara Bel Geddes), styliste de dessous féminins, intello binoclarde charmante. Il est curieusement contacté par un ami de jeunesse, Galvin Elster, qui lui demande de suivre sa femme Madeleine (Kim Novak) qui se comporte étrangement depuis quelque temps : selon lui, elle est envoûtée par la mort d’une aïeule, Carlotta Valdès.
Scottie passe donc son temps à suivre cette belle femme blonde et mystérieuse. Ses pérégrinations suspectes l’entraîne jusque dans un cimetière, devant la tombe de Carlotta Valdès, dans un hôtel irlandais, un musée (devant le tableau représentant Carlotta), dans une église espagnole et sous le Golden Gate Bridge, où il voit Madeleine se jeter à l’eau et la sauve de la noyade. Scottie est à présent convaincu de la véracité des dires de son ami et du caractère suicidaire de Madeleine.

Il se rapproche d’elle en lui avouant qu’il doit la protéger. Puisqu’il lui a sauvé la vie, ils sont liés l’un à l’autre. On oublie le mari inquiet et on assiste à la force d’un amour passionnel, peut-être l’un des plus beaux du 7e art. Mais Madeleine est malgré tout complètement possédée par le destin qu’elle s’inflige à elle-même : elle doit mourir comme le veut Carlotta qui vit en elle. Ils retournent dans l’église espagnole et soudain, Madeleine s’enfuit pour gravir les escaliers de bois en colimaçon du clocher. Scottie, pris de panique, subit une nouvelle crise d’acrophobie et ne peut la poursuivre. Un cri, un corps qui tombe : Madeleine s’est jetée du haut du clocher.

Et là, vous vous dîtes sûrement (si vous n’avez pas vu le film) : pas malin le chat, il nous a tout raconté… Pas avec Sir Alfred, le maître du suspens (et des gros coups de bluff). Car ici commence un second film. Scottie tombe dans une apathie totale et devient dépressif. Midge a beau faire, Scottie est toujours fou amoureux d’une morte. Quelques mois plus tard et toujours à l’affût de souvenirs le ramenant à Madeleine, il découvre son sosie sur le trottoir d’en face : une femme brune aux cheveux ondulés, portant une robe verte, lui ressemble étrangement. Scottie la suit, finit par faire sa connaissance et très vite, la jeune femme (Judy) devine que cet homme recherche en elle la femme disparue qu’il aime encore. Hitchcock transforme notre héros en Pygmalion, qui désire à tout prix faire porter à Judy les mêmes vêtements que Madeleine, lui changer la couleur de ses cheveux, sa coiffure, son maquillage, etc. Après ces transformations, Judy est Madeleine et Scottie redevient amoureux. Je ne dévoile pas certains éléments précis qui annoncent un renversement de situation pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui n’auraient pas encore vu ce chef d’oeuvre. En résumé, tout ce que je peux dire ici est que Scottie va réaliser à quel point il est victime d’une sombre machination (à plusieurs épaisseurs, ce qui renforce la richesse et la complexité du film, vertigineux).

Vertigo ce sont ces spirales hallucinantes et colorées dans lesquelles tombe le personnage de James Stewart tout au long du film ; ces scènes de cauchemar qui introduisent des éléments d’animation (le bouquet de Carlotta qui perd ses pétales formant des rubans emportant encore plus Scottie vers la folie et l’obsession, ces flashs bleus, violets, rouges lorsqu’il rêve qu’il marche dans le cimetière et le thème de Carlotta tonitruant et hispanisant de Bernard Herrmann) ; le chignon et la moue boudeuse de Kim Novak ; son superbe profil ;  la maladresse touchante de Barbara Bel Geddes ; la couleur du ciel de San Francisco ; les scènes toutes cotonneuses et irréelles du cimetière et des poursuites en voiture ; le foulard noir de Madeleine qui vole au vent lorsqu’elle dépose une lettre d’excuse et de remerciements dans la boîte aux lettres de Scottie ; la scène troublante filmée dans la forêt des séquoias géants ; la frénésie de Scottie lorsqu’il tente de transformer Judy ; la détresse de cette dernière lorsqu’elle espère que Scottie puisse l’aimer autant qu’il aime la disparue ; son apparition fantomatique lorsqu’elle sort de la salle de bain après s’être coiffée de la même manière que Madeleine…
Tous ces éléments (et bien d’autres) font de Vertigo/Sueurs Froides un film fou, complet et magique, saisissant complètement le spectateur dès les premières secondes, peut-être comme aucun autre générique de film n’a su le faire. Le film le plus envoûtant que je connaisse.

12 réflexions sur “Rétrospective Hitchcock : Vertigo-Sueurs Froides 1958

  1. Dans le livre d’entretien Hitchcock Truffaut,Hitchcock donne une vrai leçon de cinéma au sujet de ce film:

    « Quand la deuxième partie du film commence, Lorsque James Stewart a rencontré la fille brune, j’ai décidé de dévoiler tout de suite la vérité, mais seulement pour le spectateur: Judy n’est pas une fille qui ressemble à Madeleine, c’est madeleine elle- même. Autour de moi, tout le monde était hostile à ce changement, car on pensait que cette révélation ne devait venir qu’en fin de film. Je me suis imaginé quand j’étais un petit garçon assis sur les genoux de sa mère qui lui raconte une histoire. Quand la maman s’arrête de raconter, l’enfant demande invariablement: « Maman qu’est ce qui arrive après? » J’ai trouvé que dans la deuxième partie du roman de Boileau Narcejac lorsque le type a rencontré la brune, tout se passe comme si rien n’arrivait après. Avec ma solution, le petit garçon sait que Madeleine est Judy ne sont qu’une même et unique femme et maintenant il demande à sa mère:  » Et James Stewart ne le sait? – Non »
    Nous voici revenus à notre alternative habituelle: suspense ou surprise? A présent, nous avons la même action que dans le livre; Stewart prend un certain temps, va croire que Judy est bien Mzdeleine, puis il se résignera à l’idée contraire à condition que Judy accepte de ressembler point par point à Madeleine. Mais le public lui a reçu l’information. Donc nous avons créé un suspense fondé sur cette interrogation: Comment réagira James Stewart lorsqu’il découvrira qu’elle lui a menti et qu’elle est effectivement Madeleine?

    (….)

    Il y a un autre aspect que j’appellerai « sexe psychologique » et c’est, ici, la volonté qui anime l’homme de recréer une image sexuelle impossible, pour dire les choses simplement, cet homme veut coucher avec une morte, c’est de la pure nécrophilie.

  2. Tu vas peut-être me trouver bizarre mais je n’ai jamais accroché à ce film. Je l’ai pourtant commencé par deux fois mais rien à faire, je m’ennuie en le regardant. C’est terrible car j’ai l’impression d’être la seule…un grand moment de solitude rien qu’à le dire. Il faut juste que j’assume ou que je tente à nouveau.

  3. Pingback: Faith No More, Last cup of sorrow « les oreilles entre les yeux

  4. Pour tout te dire j’accroche assez moyen avec le bonhomme, voilà c’est dit. Toutefois, je trouve psychose excellent et j’avoue avoir flippé devant quelques « Alfred Hitchcock présente » (je ne suis pas sûre qu’il les ait tous réalisés). Je me souviens notamment d’un qui se passe dans une prison. Une des prisonnières veut s’en échapper. Elle fomente donc un plan avec le croque-mort qui consiste à se mettre à côté du prochain mort dans son cercueil et de se faire enterrer vivante, l’idée étant que le croque-mort vienne ensuite la délivrer. L’opération se fait, elle est enterrée, plusieurs heures se passent, la fille flippe, craque une allumette et découvre avec effroi que le mort n’est autre que le croque-mort. J’ai vu cet épisode ado, je ne l’ai jamais oublié.

    • Dans les ‘Hitchcock présente’, il y en a des bons et des moins bons. La plupart du temps, ils sont tout de même illogiques… un peu comme Vertigo d’ailleurs car quand on y réfléchit bien, c’est quand même bien tiré par les cheveux. C’est ça qui est dingue avec lui : c’est que ça marche ! 🙂

  5. Pingback: ‘Un balcon sur la mer’, de Nicole Garcia « le-chat-masqué

  6. Pingback: Règlements de comptes (The Big Heat), Fritz Lang « le-chat-masqué

  7. Pingback: Rétrospective Hitchcock, Institut Lumière Lyon | le-chat-masqué

  8. Pingback: Le ‘Batman’ de Tim Burton (1989) a-t-il vieilli ? | le-chat-masqué

Laisser un commentaire